Lors d’une conférence à Madrid,en 1930,John Maynard Keynes trace des « perspectives économiques pour nos petits-enfants ». L’économiste britannique porte son regard sur le siècle suivant. En 2030,le progrès technique aura,selon lui,permis de réduire considérablement le temps consacré chaque jour au travail. A ses yeux,trois heures quotidiennes devraient être alors suffisantes pour satisfaire les besoins humains. La prophétie de Keynes s’accompagne d’un questionnement profond : que ferons-nous du temps ainsi libéré ?
Près d’un siècle plus tard,Pierre-Noël Giraud se saisit de cette question des usages du temps. Dans Du pain et des jeux,le professeur d’économie émérite à Mines Paris et à Dauphine PSL nous montre tout d’abord que,si les prévisions de Keynes n’ont pas été atteintes,« nous avons produit [au cours du XXe siècle] huit fois plus et produit bien autre chose,tout en divisant par deux le temps de travail marchand par habitant ».
Il montre plus largement au fil des pages la place variable accordée à différentes activités (réalisation de tâches productives,occupation du temps libre…) dans la vie des hommes,de l’âge de pierre à la période contemporaine,mais aussi l’évolution de leur rapport au temps. Un temps qu’il estime être « notre seule ressource rare » et une source d’importants enjeux. Le « groupe dominant »,n’a-t-il pas fait en sorte à travers les siècles de « contrôler le temps libre du peuple » pour éviter qu’il ne « s’instrui[se],s’organi[se] et se révolt[e] » ?
La thèse de l’auteur est qu’un usage redéfini du temps peut permettre de sortir de cette impasse. Le temps dégagé dans les organisations du fait de « l’accélération du progrès technique » (en particulier le déploiement de l’intelligence artificielle) doit être mis à profit. Un vaste mouvement de translation des travailleurs et de leur temps pourrait s’effectuer en direction des activités de soins (de la nature et des autres). Cela impliquerait un imposant dispositif de formation – « à notre portée grâce à la révolution informatique »,dit l’auteur. Cela imposerait,aussi,de rendre plus attractif ce secteur des soins (en ne le confiant plus au secteur privé,en y proposant des relations de travail enrichies).
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